Je m’appelle Joleijn Santegoeds, je suis devenue avocate pour les droits des personnes atteintes de handicaps psychosociaux grâce à mon expérience personnelle. « À l’âge de 16 ans, j’ai été placée dans une institution contre ma volonté à la suite d’une tentative de suicide, j’ai été soumise à des traitements forcés, je suis restée longtemps à l’isolement, emprisonnée, droguée de force, sexuellement avilie et privée de soins médicaux. Ce fut une histoire terrible. Par chance, je m’en suis sortie et j’ai compris qu’avec des appuis solides, on pouvait surmonter le malheur. Alors, après toutes ces expériences et après avoir fui la psychiatrie, j’ai décidé que jamais plus je n’accepterai ce qu’ils m’avaient fait subir et qu’ils font subir à d’autres. Lorsque la chose s’est reproduite avec un jeune garçon dans une institution, j’ai commencé à protester, je me suis rendue à l’institution dans l’idée de mener une action publique. Je ne savais pas comment m’y prendre, alors j’ai confectionné des affiches et les ai collées dans les rues aux alentours de l’institution, comme pour les doléances publiques, et le lendemain, on en parlait dans les journaux. C’était autour de 2003. C’est comme cela que je suis devenue militante et qu’est née l’idée d’une manifestation informelle appelée «colère contre l’isolement », simple groupe d’anonymes qui collent des affiches. Quelques années plus tard, nous avons créé une véritable fondation que nous avons appelée « mind rights » (2006).
À ce stade, je ne savais rien de la CDPH, nous voulions juste dire qu’il faut absolument proscrire la force, car elle n’a rien à faire avec les soins de santé mentale. Lorsque j’ai découvert la CDPH, j’ai vu que le Réseau Mondial des Usagers et des Survivants de la Psychiatrie organisait une conférence internationale en Afrique précisément sur ce traité des Nations unies. Je trouvais cela intéressant, alors je me suis débrouillée pour obtenir un financement pour m’y rendre et c’est là que j’ai découvert la CDPH. Le lendemain, j’ai été élue au bureau du Réseau Mondial. Maintenant, je fais également partie du Réseau Européen des Usagers et des Survivants de la Psychiatrie. Il y a trois semaines, j’ai été élue au bureau du Forum européen des personnes handicapées.
A mes débuts, j’avais une position strictement humaine, je pensais avoir été victime de graves injustices et j’essayais de convaincre les gens. Lorsque j’ai découvert la CDPH et sa réelle signification, à savoir qu’elle nous donne le droit à ne pas être interné – cela m’a beaucoup encouragée. Pour la première fois, le pouvoir reconnaissait cette injustice; cela m’a donné un formidable élan et beaucoup d’espoir au début. C’est une idée maîtresse pour nous en tant que personnes: cela signifie que nous n’avons pas à quémander nos droits, nous pouvons tout simplement y prétendre. Cela fait une grande différence, on se sent reconnues. Nous, en tant qu’organisations de personnes handicapées, notamment les groupes marginalisés de personnes souffrant de handicaps intellectuels et psychosociaux, sommes considérées comme incapables de prendre des décisions et peu fiables. Tous nos propos étaient dénigrés et encore aujourd’hui, je me heurte aux mêmes difficultés; après 10 ans d’existence de la CDPH, il est encore très difficile de se faire entendre en tant que personne souffrant de handicaps psychosociaux. Toutefois, depuis que la CDPH existe, les lieux où l’on peut se faire entendre se multiplient. Se faire entendre est une expérience inestimable, extrêmement valorisante.
La CDPH a opéré un grand changement de paradigme en matière de soins de santé mentale. Avant elle, les droits humains se réduisaient à jeter les gens dans des institutions. L’organisation mondiale de la santé elle-même donnait des descriptions sur la manière d’enfermer les gens dans des institutions. En particulier en Europe et aux États-Unis, le monde dit développé, on avait construit un grand nombre d’institutions et l’on pensait que soigner les gens même par la force, c’était respecter les droits humains; ils prétendaient que les gens manquent de perspicacité; ils se prennent pour des sauveurs et se confortent ainsi dans les habitudes du vieux paradigme. J’ai eu beaucoup de mal à les convaincre qu’il n’était plus question de s’approprier des vies ou de décider pour les autres dans leur “prétendu “ intérêt supérieur. Le principe de l’intérêt supérieur avait été prôné si largement dans le domaine de la santé mentale et des handicaps intellectuels, qu’il demeure un énorme défi à relever. C’est plus compliqué pour les handicaps intellectuels et psychosociaux que pour les handicaps physiques, car pour ces derniers, quelques petits efforts avaient été faits, qui au moins allaient dans le bon sens (contrairement aux autres) avant la CDPH. Nous devons donc changer de cap, ce qui est très compliqué.
Pour moi, le principal défi est de changer la politique de développement en matière de handicaps psychosociaux, en allant contre les conceptions des professionnels, y compris celle des Etats. C’est une tâche très compliquée à cause notamment du pouvoir qu’exercent les industries pharmaceutiques sur les gouvernements ainsi que sur les psychiatres à l’ancienne. Ils sont au pouvoir, ils sont reconnus, ils ont un statut. En tant que personnes discréditées, nous sommes confrontées à ce gros déséquilibre des forces, c’est un combat immense. Il est bon que la CDPH crée un élan et prenne de l’ampleur, rallie plus de monde dont beaucoup de personnes appartenant au mouvement des personnes handicapées; pour autant, les mêmes préjugés existent aussi au sein du mouvement des personnes handicapées. Le vieux paradigme reste bien ancré et largement diffusé: c’est un des plus gros défis. Si je savais comment le rélever, je l’aurais déjà fait bien sûr! Une question se pose: comment trouver le moyen d’atteindre le coeur des hommes. En général, je pars de ma propre expérience et les gens comprennent que lorsqu’on est interné, les choses ne font qu’empirer au lieu de s’améliorer. C’est ma façon d’interpeller l’opinion. Le langage de la CDPH est quelque peu abstrait, je ne sais pas si c’est une bonne chose, mais je pense qu’il est également très important d’aller au plus près des gens et de trouver un langage qu’ils comprennent. Les droits humains sont très importants, ils touchent à l’individu – mais l’expérience collective est également une question clé. J’aime aborder les choses de ce point de vue. Pour moi, le juridique est un outil à utiliser en complément, je préfère aborder les choses du point de vue de l’humain. Par exemple, les infirmières non plus ne parlent pas la langue juridique mais ce sont elles qui détiennent les clés. Il faut qu’on évolue. Le droit n’est pas nécessairement la solution. Mon objectif véritable est de changer les pratiques, d’aider à développer des alternatives.
Copyright 2023 © Humanity and Inclusion | All Rights Reserved