À l’âge de 19 ans, suite à un accident de voiture, je suis restée handicapée physique à cause d’une lésion médullaire. À l’époque, j’entamais des études supérieures en communication. Pendant mon séjour dans un centre de réhabilitation fonctionnelle en tant que patiente, j’ai réclamé de meilleures conditions. Puis, j’ai rapidement intégré le mouvement des personnes handicapées, en devenant membre d’une association de personnes handicapées à Rio de Janeiro. Très vite, je suis devenue une des dirigeantes du mouvement des personnes handicapées au Brésil. J’ai rejoint la coordination de la Coalition Nationale des personnes handicapées et ai commencé à intervenir au plan régional à travers le Conseil latino-américain des personnes handicapées. J’ai également été pendant plusieurs années éditrice d’un journal qui soutenait le mouvement des personnes handicapées. À cette époque, la dictature au Brésil touchait à sa fin et le pays commençait à se politiser. Pour les personnes engagées, ce fut un moment riche d’enseignements: mouvements étudiants, partis politiques, mouvement des personnes handicapées. Ce fut une période très riche. On éditait énormément de publications. Chaque mois, on voyait apparaître une nouvelle organisation là où on n’aurait jamais pu l’imaginer. Ce fut un réel épanouissement pour le mouvement des personnes handicapées. Moi qui n’avais aucune expérience dans ces domaines, j’ai appris beaucoup de choses à cette période.
L’année internationale des Nations unies pour les personnes handicapées en 1981 a fourni aux organisations parties au mouvement des personnes handicapées, l’occasion de définir des paramètres pour les organisations DE personnes handicapées et les organisations POUR personnes handicapées. Ce fut un événement de la plus haute importance au plan global et local. Tous les membres se sont mis à agir chez eux. Au Brésil, des dirigeants ont commencé à émerger et les personnes se sont rencontrées. Une des questions centrales était: qui peut parler au nom des personnes handicapées? Des critères furent alors définis pour déterminer si une organisation pouvait ou non intégrer le mouvement des personnes handicapées. Des décisions ont été prises également en matière de représentation; nous étions pour la parité entre différents types de déficiences: handicap auditif, visuel, physique. La déficience intellectuelle n’était pas représentée. Comme il arrive souvent au sein des mouvements sociaux, certaines organisations ont eu du mal à travailler ensemble. Ensuite, à la fin de la dictature au Brésil en 1986 – 88, on a procédé à une révision d’ensemble de la constitution. Le mouvement des personnes handicapées était très engagé dans ce processus; ce fut une formidable occasion d’inscrire le handicap tout au long du texte. À l’époque, le modèle médical était le statu quo, mais les dirigeants du mouvement avançaient bien, ils se rendaient dans les universités pour discuter de concepts tels que l’accessibilité, l’égalité des chances, l’inclusion sociale, la vie autonome. Le gouvernement était fortement orienté sur le modèle médical/charité, les organisations travaillaient quant à elles dans le cadre du modèle social. Cela a demandé beaucoup d’efforts, mais le Brésil avait une stratégie très pertinente au sein du mouvement des personnes handicapées qui pouvait faire bouger les choses de manière très intéressante. C’était déjà un progrès et c’est à cette période que les structures et les lois nationales sur le handicap ont été créées.
J’ai déménagé aux États-Unis en 1995 et commencé à travailler beaucoup à l’international, d’abord à la banque interaméricaine de développement, ensuite à la banque mondiale en 2001, qui ont fait office de centre de liaison pour le handicap et le développement en Amérique latine et aux Caraïbes. J’ai également été présidente de l’Institut interaméricain du développement et de l’inclusion (IIDI) créé à la fin des années 90. C’est alors qu’un membre de la mission américaine aux Nations unies m’a informée que les pays développés étaient réticents à l’idée de lancer le processus de développement d’une Convention pour le droit des personnes handicapées. Au cours de son appel, il m’a dit que la voix du mouvement des personnes handicapées leur était indispensable pour pouvoir exprimer leur soutien et défendre le processus. L’Institut pouvait compter sur de puissants réseaux et sur une liste exhaustive de personnes, classées par langues. Avec Luis Fernando, nous avons rapidement élaboré une note à l’attention du mouvement des personnes handicapées et l’avons ensuite envoyée à tous les membres de la liste. C’est la partie invisible de l’histoire. Plus tard, en 2003, alors que le processus était lancé, les missions ont reçu un appel leur demandant d’inclure des personnes handicapées dans les délégations. La Banque mondiale et d’autres organisations ont elles aussi envoyé des personnes handicapées. Mon rôle, tout comme celui d’autres personnes, notamment Catalina Devandas qui travaillait elle aussi pour la banque mondiale, était surtout un rôle d’observateur. Nous disposions d’un siège spécifique et avions toujours le droit de faire une déclaration et ce, à chaque session. Bien qu’il n’y eut pas d’instruction officielle, nos superviseurs nous encourageaient à participer et à faire une déclaration. Les diplomates nous ont tout simplement fait de la place à la tribune.
Lorsque des personnes handicapées ont pris part au processus, des choses surprenantes ont commencé à se produire. Rien n’était attendu, rien n’avait été planifié; cela s’est fait de manière très naturelle. Il suffirait de décrire la situation au fonctionnaire onusien type pour réaliser combien elle avait été exceptionnelle. Nous avons rompu tous les protocoles en participant à des sessions fermées. C’est le mouvement des personnes handicapées qui a commencé à informer vraiment les Comités ad hoc. La collaboration a été excellente. Au début, on courait le risque que certains pays rejettent l’idée d’une Convention. Mais ensuite, le processus de négociation s’est déroulé sans problème – mis à part les discussions portant sur certains articles. Il était intéressant de voir comment des pays différents, de langues différentes, pouvaient finalement parvenir à un accord; ce fut tout un exercice. Nous n’avions jamais imaginé un jour être engagés dans la négociation d’une Convention. Nous réalisons aujourd’hui ce que cela avait de surprenant, mais sur le moment nous n’avions pas le loisir de nous étonner. C’était juste un processus d’apprentissage, dans lequel les délégués étaient eux aussi en apprentissage.
La Convention a été une conquête pour tous ceux qui ont participé au processus et pour tous les responsables du mouvement du handicap qui en ont été les porte-parole pendant plusieurs années de par le monde. La Convention peut être considérée comme la reconnaissance de leurs efforts et la confirmation que ce qu’ils disaient était vrai. La Convention peut servir de référence dans les discours sur le droit des personnes handicapées. C’est une étape importante; le mouvement des personnes handicapées est reconnu en tant que mouvement pour les droits des personnes, au centre de l’agenda du développement. La réalité, c’est que la Convention change le regard que portent des institutions comme l’Unicef et en particulier les agences de l’ONU sur les personnes handicapées. Tous les États membres mettent en place la Convention, ils demandent de l’aide aux Nations Unies et à la société civile dans des domaines aussi variés que: politiques, législations, programmes, services. Ce scénario général a pu se réaliser grâce à la Convention.
La Convention n’est pas une fin en soi; elle n’est qu’un outil qui nous aide à promouvoir les droits des personnes handicapées. Il reste encore beaucoup à faire pour obtenir les changements indispensables; d’où la nécessité d’agir ensemble en tant que société civile. Mais le mouvement des personnes handicapées a encore de grosses lacunes et est marqué par les désaccords. Nous affirmons que les personnes handicapées doivent être au centre partout, de la conception à la mise en oeuvre; mais les personnes handicapées en capacité d’agir à des niveaux décisionnels sont encore trop peu nombreuses. Au plan local par exemple, les OPH sont encore bien fragiles, elles sont dépourvues de toute infrastructure et sont souvent dirigées par une seule personne. Pendant le processus de négociation de la Convention, nous avons pu constater que le mouvement des personnes handicapées à l’échelle mondiale, représenté notamment par l’Alliance internationale du handicap, et la réalité au niveau national sont deux choses bien différentes qui peuvent parfois être déconnectées l’une de l’autre. Bien sûr, les résultats des réunions à New York et Genève peuvent avoir un impact très fort; néanmoins, il est évident que la société civile doit impulser des changements au niveau local (j’inclus les O.N.G., même si l’on a tendance à les considérer comme des prestataires de services). J’ai vécu la même réalité durant mes 40 années passées dans le mouvement des personnes handicapées. Si nous n’investissons pas dans un véritable renforcement des capacités des personnes handicapées au plan local, cela n’ira pas bien loin.
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