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Silvia Quan

 

Pouvez-vous expliquer comment a débuté votre engagement pour les droits des personnes handicapées ?

J’ai grandi sans handicap, puis jeune adulte, j’ai été atteinte de déficience visuelle. J’ai donc pu ainsi comparer vie avec handicap et vie sans handicap, j’ai éprouvé alors un réel sentiment d’injustice. Le facteur déterminant pour moi a été d’abord de me voir refuser les droits au motif que j’étais une personne handicapée et ensuite d’être confrontée à plus de barrières du fait que j’étais une femme. Cela provoquait chez moi une profonde indignation. À cette époque, je ne pouvais pas comprendre la situation sous l’angle de l’intersectionnalité, mais je la vivais et je ressentais une réelle discrimination dans le fait d’être une femme. Cela me conduisit d’abord vers le mouvement qui militait en faveur du droit des femmes. Cela s’est avéré très utile dans mon cas, car la théorie féministe m’a aidée à mieux comprendre la situation sociale que les personnes handicapées de ma connaissance et moi-même, vivions, ce qui m’a conduite vers mon domaine professionnel, la défense des droits des personnes handicapées. J’ai débuté au Guatemala puis, fin des années 90 début des années 2000, j’ai travaillé au plan international. C’est ainsi que j’ai pu faire la connaissance de Luis Fernando Astorga et de l’Institut inter-américain pour le handicap et l’inclusion, et que j’ai eu la possibilité de participer à toutes les sessions du comité ad hoc.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre participation au processus de négociation ?

Je n’étais pas une habituée du système des Nations Unies; j’ai donc observé fonctionner le processus, car je n’avais pas la moindre idée de la manière dont je pouvais y contribuer. Ce processus d’apprentissage s’est fait au cours des 2èmes et 3èmes sessions du comité ad hoc. Pendant ces deux premières années, j’ai fait la connaissance des délégués des pays et découvert toutes les dynamiques mises en jeu pour essayer de les influencer. J’ai découvert que ceux qui avaient droit à la parole et participaient au vote étaient les Etats plutôt que les organisations non gouvernementales (O.N.G.I). Pourtant, les O.N.G. internationales pourraient avoir un effet positif sur le processus en essayant d’influencer les délégués des Etats. Ma réelle participation commença à peu près à la 4ème session; j’ai terminé en tant que participante à la délégation de mon pays; ce fut une expérience très positive. Les délégués du Guatemala savaient peu de choses du handicap; c’était également le cas de bon nombre de délégués des pays représentés. En fait, c’était un processus d’apprentissage pour toutes les personnes présentes. Bien sûr, il y avait des pays plus avancés que d’autres, par exemple le Royaume-Uni et les pays européens en général. En Amérique latine, c’était encore un peu tôt et les institutions avaient à l’époque peu de connaissances en matière de handicap.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les négociations et sur les personnes qui y ont participé ?

La Convention est le résultat de nombreuses discussions, portant par exemple sur l’inclusion d’un paragraphe spécifique aux femmes dans un article précis. Certains débats ont duré des années. A l’origine, la société civile était majoritairement représentée par des organisations de pays développés. Cela changeait le contenu et l’orientation des discussions. C’était une vraie préoccupation pour Luis Fernando qui cherchait comment accroître la participation des personnes handicapées de pays en voie de développement. Cela a conduit à créer le “projet Sud” en collaboration avec Handicap International dans le but d’encourager la participation des responsables des organisations de personnes handicapées en provenance de pays en voie de développement. Et à mesure que leur participation augmentait, l’idée qu’il y avait également de nombreuses barrières économiques à lever pour améliorer la situation des personnes victimes de la pauvreté, a pris de l’importance. Le débat s’est alors révélé très intéressant; il a été soutenu et adopté par la majorité de la société civile. Si vous lisez la Convention, à la base, elle visait les questions touchant à l’accès aux ressources, mais elle soulevait également la question de l’aide internationale pour aider les pays en voie de développement à atteindre les normes définies par la Convention. C’est là que la coopération internationale a commencé à émerger en tant que thématique. Ce fut un débat important; à tel point qu’il a été inclus dans le préambule de la Convention. 

Selon vous, quels sont les changements les plus importants que la Convention a apportés ?

Je pense qu’il y a eu un changement radical dans la manière dont on traite des thématiques relatives au handicap. Il y a plus de stratégies, de programmes gouvernementaux, de services inspirés par une approche fondée sur le droit. Auparavant, le modèle était clairement inspiré par une approche médicale ou de charité. Je ne dis pas que ce type de programmes a totalement disparu, mais les lois axées sur les droits sont plus nombreuses que lorsque le comité a commencé son travail il y a 15 ans. En outre, il y a une certaine forme de généralisation des concepts, peut-être pas de la situation matérielle mais au moins des concepts. Le concept d’aménagement raisonnable n’était même pas connu dans les pays en voie de développement; même s’il n’est toujours pas mis en pratique, il fait maintenant partie des revendications des personnes handicapées. Des progrès ont été réalisés dans la manière de cibler les droits des personnes handicapées. Des services pour favoriser la vie autonome ont également vu le jour dans ce contexte. Les organisations de personnes handicapées sont de plus en plus responsabilisées, elles sont plus sensibilisées au sujet des droits et de plus en plus de revendications émergent. Ce changement est peut-être plus visible dans les pays en voie de développement. Je dirais que ce sont là les changements les plus significatifs et les plus visibles. L’analyse intersectionnelle de la violation des droits humains est un autre apport précieux de la Convention, en tant qu’instrument des droits humains. Si les personnes handicapées n’ont qu’un accès limité à certains services, nous pensons que lorsque leur handicap se combine avec un autre facteur, par exemple celui d’être indigène ou de vivre dans des zones rurales, leur situation peut être pire encore. Et la Convention le montre. Cette interprétation enrichit la loi internationale sur les droits humains.

Selon vous, quels sont les défis qu’il reste à relever ?

Beaucoup reste encore à faire pour mettre en oeuvre la Convention. Car même là où des progrès avaient été réalisés, la crise économique a introduit des risques de régression. Dans certains pays européens, il existait des programmes sociaux qui petit à petit avaient facilité la participation des personnes handicapées, mais aujourd’hui leurs droits y sont en danger. Cela donne aussi un mauvais exemple aux autres pays. Un autre risque est que certains Etats ratifient la Convention mais ne remplissent pas leurs obligations. Habituellement, le comité fait le point sur les progrès réalisés dans la mise en oeuvre de la Convention et donne ensuite ses recommandations. Mais certains font la sourde oreille, d’autres ont l’impression que cela interfère avec leur souveraineté. Ce sont de réels dangers, mais c’est là que la société civile a un rôle important à jouer, celui de contraindre les gouvernements à agir.

 

Quels sont vos espoirs/vos recommandations pour l’avenir ?

Nos espoirs reposent essentiellement sur la société civile. Plus la société civile présentera de revendications, plus il y aura de progrès. Si elle reste passive, le gouvernement fera cavalier seul. Il est important également que les personnes handicapées accèdent à des postes de décision. Dans mon pays, la société civile s’occupe de tout, mais ce serait beaucoup plus facile d’avoir une personne qui se consacre exclusivement aux droits des personnes handicapées. Je veux prendre pour exemple les avancées obtenues par les associations de femmes en termes de représentation politique; à tel point qu’il est rare aujourd’hui que les droits des femmes ne soient pas pris en compte. C’est un message fort d’encouragement de la société civile à s’émanciper, à participer et à s’intéresser à l’interêt général public. Nous avons souvent tendance à nous concentrer sur des sujets spécifiques en fonction de nos propres intérêts. Je pense que nous devons être plus stratégiques et envisager la politique de manière globale et considérer les droits humains comme essentiels. Je pense que le mouvement des personnes handicapées doit prendre en compte l’objectif de parité des sexes et intégrer les intérêts des groupes les plus victimes de discriminations au sein de la société, tels que les enfants, les personnes âgées et les indigènes. Même si la Convention offre cette analyse intersectionnelle, je sens que les personnes handicapées ont encore du mal à englober d’autres luttes. 

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