Go to main content

Bissine : la vie après les mines

partager

Réduction de la violence armée | Sénégal | PUBLIÉ LE 7 juin 2024
Une jeune femme se tient au milieu d'un champ de riz. Derrière elle, de grands arbres bouchent l'horizon. Elle regarde la caméra et tient des pousses entre les doigts.

Djenaba, arrivée au village en 2021, cultive son champ de riz de montagne. | © A. Faye / HI

Après avoir été déplacés pendant 30 ans, les habitants de Bissine, au Sénégal, rentrent sur leurs terres et recommencent à cultiver leurs champs, source de prospérité économique pour toute une région.

Le 9 octobre 1992 restera gravé dans la mémoire de tous les habitants de Bissine : ce jour-là, la localité a été le théâtre d’un déchaînement de violence. Le village a été bombardé, les maisons incendiées, des villageois tués – et les habitants forcés à partir dans la précipitation, laissant derrière eux leur vie et leurs racines. Ce n’est que 30 ans après que les premières familles osent revenir. Grâce aux opérations de déminage réalisées par HI, elles savent qu’elles peuvent désormais retourner sur les terres de leurs ancêtres en toute sécurité.

La fuite, un déchirement pour une communauté entière

Ismaïla Manga est le chef de Bissine depuis 2021. Il a été élu par la communauté. © A. Faye / HIAu début des années 1990, quelque 2 500 personnes vivent à Bissine. Mais la crise qui oppose l’armée sénégalaise et les combattants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance va précipiter leur départ. Lorsque surviennent les événements du 9 octobre, les villageois ne disposent que de quelques heures pour partir de chez eux. Dans l’urgence et la panique, familles, proches et amis sont séparés. Les déplacés fuient vers les grandes villes du Sénégal ou s’installent en Gambie et en Guinée-Bissau.

« Je me trouvais en brousse au moment de l’assaut. Ma famille, elle, était restée au village. Nous avons pris la fuite par des chemins séparés et ce n’est que quinze ans plus tard, en 2007, que j’ai revu ma sœur », témoigne Ismaïla Manga, le chef du village de Bissine.

Pour beaucoup, la vie dans les grandes villes ou à l’étranger est un déclassement. Certains habitants témoignent de conditions de vie et de travail pénibles, au service de personnes exploitant leur détresse. Car au moment de l’exode, les familles ont dû laisser derrière elles leurs biens mais surtout leurs terres, leur plus grande richesse.

Revenir en toute sécurité

Pourtant, dans le cœur de chaque Bissinois, la flamme de l’espoir brûle vive : des comités sont montés et des réunions organisées pour maintenir soudée une communauté dispersée. Les parents élèvent leurs enfants dans le souvenir de leurs terres et l’espoir d’y retourner un jour.

« Chaque génération a essayé de revenir. Dans les années 2000, des femmes battantes se sont organisées pour essayer de rentrer au village. Mais elle se sont heurtées à des bandes armées, il y a eu des blessés et elles ont dû baisser les bras. Mais Dieu a fait que nous soyons là aujourd’hui, pour retrouver nos terres », raconte Ismaïla.

Cette Bissinoise est revenue au village il y a un an et souhaite reconstruire la maison de ses parents. © A. Faye / HILes déplacés commencent à revenir en petits groupes à partir de 2020. Mais le village n’est pas sûr : des années d’affrontements dans la région ont marqué la zone, semant des engins explosifs sur tout le périmètre. Suite à la demande pressante des habitants, HI a été mandatée pour mener des opérations de déminage à Bissine entre juillet et octobre 2022, sur d’anciens champs de bataille. Pendant cette période, l’organisation a remis à disposition près de 95 000 m² de terre et détruit 15 restes explosifs de guerre.

Contribuer à la relance économique de toute une région, de tout un pays

À Bissine, la terre a toujours été fertile. Avant le grand exode, la localité faisait partie des premiers villages producteurs de Casamance – une région surnommée « le grenier du Sénégal » qui jouit de conditions climatiques exceptionnelles. Les récoltes y étaient abondantes, les familles prospères. Cette dynamique bénéficiait à l’ensemble de la région car Bissine, situé entre la Guinée Bissau et la région de Sedhiou à l’Est du Sénégal, est un village carrefour au cœur du commerce régional. Lorsque les Bissinois ont été forcés d’abandonner leurs terres et leurs cultures, c’est tout l’équilibre économique de la région qui a été fragilisé.

Djenaba cultive du riz de montagne et voudrait également planter de l’arachide © A. Faye / HIAvec le retour des premières familles, la relance est amorcée. Cette terre fertile, laissée en jachère pendant 40 ans, est aujourd’hui plus riche que jamais, et les champs sont prêts à être cultivés de nouveau par celles et ceux qui reviennent. C’est le cas notamment de Djenaba, 30 ans, qui est arrivée au village en 2021, en suivant son mari, Bissinois d’origine. Sa belle-mère vit toujours en Guinée, où elle s’était installée après le 9 octobre 1992. Djenaba cultive du riz de montagne dans ses champs :

« C’est un travail difficile, car nous ne cultivons pas dans des rizières mais dans des champs. Tous les jours, je dois arracher les lianes qui repoussent sans arrêt. Je voudrais varier les cultures et acheter une machine pour augmenter la production et en revendre une partie. La terre est très riche ici », explique-t-elle.

Il faudra encore du temps et beaucoup de travail pour que le village retrouve sa prospérité d’antan. De nombreux champs et rizières demeurent abandonnés, attendant le retour des familles.

« Ici, on cultive en fonction des besoins des foyers. Chez nous, les femmes et les hommes sont associés et effectuent les mêmes tâches. Ainsi, à Bissine, les femmes cultivent aussi la terre », rapporte Ismaïla.

Parier sur l’avenir

Aujourd’hui, le village compte environ 375 habitants. Pendant près de deux ans, toutes les familles ont vécu ensemble dans une grande hutte jusqu’à ce que, petit à petit, chaque foyer reconstruise ou réhabilite la maison familiale. Aujourd’hui, l’enjeux pour Bissine est de faire revenir les autres familles, et notamment les jeunes qui sont nés et ont grandi loin du village.

« Beaucoup sont nés loin de Bissine : ils n’ont pas connu le village tel qu’il était à l’époque. Ils ont grandi en ville et n’ont jamais appris à cultiver la terre. Revenir signifie abandonner de nouveau toute la vie qu’on s’est construite dans les villes d’accueil, et parfois tous les avantages que peut offrir une grande ville. Pour permettre aux familles de rentrer, il faut améliorer les conditions d’accueil au village, en construisant des infrastructures de base. Il faut remplir toutes les conditions pour que les familles puissent vivre en harmonie et aient une autonomie alimentaire pour la vie », détaille Ismaïla.

Un père et sa fille marchent sur la route qui mène à l’école de Bissine © A. Faye / HIL’école de Bissine a déjà rouvert ses portes en 2020 – première pierre posée dans la reconstruction du village. Au début, elle accueillait 29 élèves. Au fil du temps et du retour des familles, les effectifs ont crû jusqu’à compter environ 130 élèves aujourd’hui. Les projets fourmillent au sein de cette communauté forte, qui est restée soudée malgré les revers du sort et qui n’aspire qu’à une chose : refonder son chez-soi.

« Nous voulons ouvrir un foyer pour les femmes, un autre pour les jeunes et construire un centre polyvalent pour que les jeunes puissent étudier et se former, à la maçonnerie ou à l’électronique par exemple. Ce déplacement nous a aussi permis d’acquérir plus d’expérience au contact d’autres populations. Ce sont ces connaissances que nous allons mettre au service de notre communauté », conclut Ismaïla.

Le Sénégal estime l’étendue de la contamination liée au conflit en Casamance à 1 200 000 m² de terres, réparties sur cinq départements. En mai 2022, HI a redémarré des opérations de déminage en Casamance, où l’association avait déjà libéré plus de 900 000 m² de terres depuis 2008. Grâce à ses deux projets actuels, HI remettra à disposition 800 000 m² supplémentaires d’ici à 2025 afin de contribuer à réinstaurer la sécurité et la prospérité socioéconomique des communautés dans les régions de Ziguinchor et Sédhiou. Ces projets bénéficient du soutien financier de l’Union européenne et du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.

Plus d'actualités